La liste des personnalités politiques en prison s’allonge. L’écrasante majorité crie à l’innocence tant les accusations semblent fallacieuses et les dossiers les accablant légers. Des affaires montées de toutes pièces par le régime de Kaïs Saïed qui justifient la dénomination de « prisonniers politiques » ? Le fait même de dire ça nous expose aux textes du décret 54 qui punit jusqu’à dix ans de prison ce genre d’exercice.
Toujours est-il que le président de la République lui-même s’est prononcé dans certaines de ces affaires violant, de fait, la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. C’est ce que dénoncent les avocats des prévenus qui épinglent notamment la vacuité des dossiers, la gravité des accusations et l’absence totale de faits et de preuves tangibles.
Business News actualise la liste, publiée le 1er mars dernier, des personnalités politiques en prison avec les charges retenues, quand il y en a, et les dates de leur détention. Cet article est évolutif tant que ces personnalités de premier plan demeurent en prison.
1/ Mehdi Ben Gharbia : ancien président de l’Alliance démocratique, ancien dirigeant de Tahya Tounes, trois fois député et ancien ministre, il est détenu dans une affaire de blanchiment d’argent et d’enrichissement illicite. Le juge chargé de l’instruction de son affaire a conclu à son innocence et a décidé de le libérer, mais le parquet, a fait appel pour le maintenir en prison. Appel confirmé par la chambre des mises en accusation. Le juge qui a décidé de sa libération a été révoqué quelques semaines après la fin de son instruction. Mehdi Ben Gharbia est en prison depuis octobre 2021, en attente de son procès dépassant largement les quatorze mois légaux.
2/ Ali Larayedh : Dirigeant du parti islamiste Ennahdha, ancien chef du gouvernement, ancien Premier ministre, il est impliqué dans l’affaire dite des réseaux d’embrigadement. Il n’aurait pas mis suffisamment de moyens pour empêcher les Tunisiens de rejoindre les réseaux terroristes en Syrie et en Irak. Il est détenu depuis le 19 décembre 2022.
3/ Khayam Turki : Lobbyiste, homme politique, ancien d’Ettakatol et président de l’association politique « Joussour » (passerelles), on lui reproche notamment d’avoir organisé, à son domicile, des réunions entre différentes personnalités politiques et avec des ambassadeurs étrangers. Il aurait également eu plusieurs communications téléphoniques avec des diplomates. Il est détenu depuis le 11 février 2023.
4/ Kamel Letaïef : Lobbyiste, homme politique et chef d’entreprise, on lui reproche d’avoir eu des entretiens avec des ambassadeurs étrangers et d’avoir proposé à des diplomates le nom de Mustapha Kamel Nabli pour la présidence du gouvernement en cas de changement de régime. Il est détenu depuis le 11 février 2023.
5/ Abdelhamid Jlassi : Ancien membre dirigeant du parti islamiste Ennahdha, il aurait eu des rencontres avec des étrangers originaires de pays puissants à qui il aurait demandé de cesser tout soutien au régime actuel. Il est détenu depuis le 11 février 2023.
6/ Noureddine Boutar : Journaliste et directeur de Mosaïque FM, la radio la plus écoutée du pays et connue pour sa ligne éditoriale hostile au régime, on lui reproche d’avoir orienté la ligne éditoriale de sa radio dans l’objectif de fragiliser le régime. Outre l’affaire de complot contre l’État, il est cité dans une affaire d’enrichissement illicite et de blanchiment d’argent, mais sans aucune preuve tangible dans le dossier pour étayer ces accusations. Il est détenu depuis le 13 février.
7/ Noureddine Bhiri : Avocat, député, chef du bloc du parti islamiste Ennahdha au parlement et ancien ministre de la Justice, il lui est reproché d’avoir prononcé un speech hostile au régime lors d’une manifestation. Il est détenu depuis le 13 février.
8/ Lazhar Akremi : Avocat, activiste politique et ancien secrétaire d’État à l’Intérieur, il lui est reproché d’avoir des contacts suspects avec des personnes citées dans l’affaire de complot contre l’État avec qui il aurait été question de soutiens étrangers pour faire tomber le régime. Il est détenu depuis le 13 février.
9/ Ridha Belhaj : Avocat, ancien dirigeant du parti centriste Nidaa, ancien président du parti Tounes Awalan, ancien secrétaire d’Etat, ancien chef de cabinet de l’ancien président Béji Caïd Essebsi, il lui est reproché d’avoir eu des contacts avec une diplomate étrangère. Il est détenu depuis le 24 février.
10/ Issam Chebbi : Huissier notaire, président du parti de gauche Jomhouri, ancien député, il lui est reproché d’avoir eu des contacts avec une diplomate étrangère. Il est détenu depuis le 22 février.
11/ Chaïma Issa : Activiste au sein du Front de Salut, il lui est reproché d’avoir eu des contacts avec une diplomate étrangère. Elle est détenue depuis le 22 février 2023 et elle est l’unique femme arrêtée, pour le moment, dans l’affaire du complot contre l’État.
12/ Jaouhar Ben Mbarek : Enseignant universitaire, politicien et dirigeant au Front de Salut, il lui est reproché d’avoir eu des contacts avec une diplomate étrangère. Il est détenu depuis le 22 février 2023.
13/ Ghazi Chaouachi : Avocat, député, ancien ministre et ancien président du parti centriste Attayar, il lui est reproché d’avoir eu des contacts avec une diplomate étrangère. Il est détenu depuis le 24 février 2023.
14/ Rached Ghannouchi : ancien président du parlement et président du parti islamiste Ennahdha. Il lui est reproché des déclarations dans une soirée ramadanesque où il a dit que la Tunisie risque la guerre civile si on écarte l’islam politique ou la gauche de la vie politique.
Ses propos sont considérés comme un acte criminel d’agression préméditée destinée à changer la structure de l’État ou amener la population à s’affronter avec des armes et à attiser l’agitation, les meurtres et les vols et l’unité centrale de lutte contre les crimes liés aux technologies de l’information et de la communication est chargée d’enquêter sur son affaire.
Il a été arrêté le 17 avril 2023.
15/ Mohamed Chniba : cadre au sein du parti islamiste Ennahdha, il a été arrêté la même soirée que Rached Ghannouchi, sur instruction du parquet du pôle antiterroriste. Les raisons de son arrestation sont ignorées.
16/ Ahmed Mechergui :ancien député d’Ennahdha et ancien chef de cabinet de Rached Ghannouchi quand il était président de l’ARP. Interpellé tôt durant la matinée du 19 avril 2023 et auditionné le lendemain 20 avril par le juge d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis. Il fait partie de la liste des personnes accusées de complot contre la sûreté intérieure de l’État.
17/ Mosbeh Kardamin : enfant du régime de Kaïs Saïed et ancien gouverneur de Gabes, limogé le 30 mars 2023, il est poursuivi dans quatre affaires : poursuite d’exercice de ses fonctions après son limogeage, l’octroi d’autorisations de taxis individuels, l’octroi d’autorisations de vente de fourrage et des soupçons de fausses déclarations à propos d’un accident de la route.
Il est en prison depuis le 6 avril et a été condamné en un temps record, le 13 avril, à trois mois de prison ferme pour la première affaire.
18/ Mohamed Ben Salem : dirigeant du parti islamiste Ennahdha, ancien député et ancien ministre. Il est accusé de tentative de passage illégal des frontières, de détention de devises et de la somme de douze mille dinars. Il est en prison depuis le 3 mars 2023, bien que les charges retenues contre lui ne justifient pas la détention, d’après ses avocats. Sa famille dément l’accusation de passage illégal de frontières puisqu’il aurait été arrêté à plus de cent kilomètres des frontières avec cinq autres personnes, toutes en prison.
19/ Ahmed Laamari : dirigeant du parti islamiste Ennahdha, il a été arrêté avec Mohamed Ben Salem dans l’affaire du franchissement illégal des frontières.
20/ Habib Ellouze : dirigeant du parti islamiste Ennahdha et ancien député, il est arrêté depuis le 2 mars 2023. Les motifs de son arrestation demeurent inconnus, son avocat a écarté la possibilité qu’il soit détenu dans l’affaire de complot contre l’État, mais n’a donné aucun élément expliquant la détention de son client.
21/ Mohamed Ali Laroui : ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, il a été arrêté dans le cadre de l’affaire « Instalingo », une sombre affaire d’un réseau d’influence et de propagations de fausses informations et/ou d’informations contre le régime. Il est en prison depuis le 17 juin 2022.
22/ Sayyed Ferjani : dirigeant d’Ennahdha et ancien député, il est arrêté dans le cadre de l’affaire « Instalingo » depuis le 27 février 2023.
23/ Riadh Mouakher : ancien dirigeant de Afek, ancien député et ancien ministre, il est poursuivi sur la base de l’article 96 du code pénal, portant sur la procuration d’avantages injustifiés par un fonctionnaire public. Il est en prison depuis le 28 février 2023. Ses avocats et sa famille demeurent très discrets quant à son dossier.
24/ Walid Jalled : ancien député et dirigeant au parti Nidaa Tounes, il est suspecté d’être impliqué dans une affaire de blanchiment d’argent. Il est détenu depuis le 14 février 2023.
25/ Rached Khiari : ancien dirigeant du parti El Karama et ancien député, il est poursuivi dans plusieurs affaires de diffamation, d’injures, de faux et d’usage de faux, aussi bien par le régime que par des particuliers. Il est une des rares personnalités politiques dont la détention n’est pas considérée comme une injustice, tant ses crimes sont connus de tous quand son camp était au pouvoir. Il est en prison depuis le 3 août et a déjà été condamné dans deux sur les huit affaires qui pèsent sur lui.
26/ Youssef Nouri : membre du parti islamiste Ennahdha. Interpellé tôt durant la matinée du 19 avril 2023 et auditionné le lendemain 20 avril par le juge d’instruction près le Tribunal de première instance de Tunis. Il fait partie de la liste des personnes accusées de complot contre la sûreté intérieure de l’État.
27/ Sahbi Atig : membre du parti islamiste Ennahdha et ancien député, il a été interpellé le 6 mai 2023 à l’aéroport Tunis-Carthage alors qu’il embarquait vers Istanbul où il devait participer à un séminaire. Depuis, il est arrêté pour des motifs inconnus.
28/ Abdelmajid Ezzar : président renversé de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche, il a été arrêté le 8 mai 2023. Il a protesté fortement au moment du putsch qui a frappé son organisation et a essayé de se maintenir à son poste en faisant valoir sa légitimité. Des élections, jugées illégales et non conformes aux normes, ont été organisées afin de le déloger de la présidence et le remplacer par un cacique du régime.
Seïf Eddine Makhlouf : président du parti El Karama, ancien député, il est poursuivi dans plusieurs affaires dont notamment d’outrage à magistrat et celle de l’aéroport quand il s’en est pris aux agents de la police des frontières parce qu’ils ont interdit une citoyenne suspectée de terrorisme de voyager. Si certaines de ses condamnations ne font pas l’objet de discussion, d’autres suscitent la controverse, celle de l’aéroport en particulier, puisqu’il a été jugé deux fois par deux tribunaux différents dans cette même affaire.
En prison depuis le 20 janvier 2023, il a été libéré le 27 avril. Il reste cependant poursuivi dans d’autres affaires en cours.