vendredi , 31 mars 2023
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Législatives : les gagnants et les perdants des élections

Mettre fin à la dictature des partis politiques, restituer le pouvoir au peuple et purifier le pays, sont les principaux arguments sans cesse évoqués par le chef de l’État, Kaïs Saïed et ses soutiens pour justifier le processus entamé depuis le 25 juillet 2021. Or, les premiers résultats du second tour des élections législatives anticipées démontrent que ce sont ces mêmes partis qui dominent le prochain parlement.

Le président de la République, Kaïs Saïed, a souvent considéré que les politiciens et les partis ayant gouverné durant la dernière décennie ont plus œuvré pour préserver leurs intérêts que celui du peuple. Il les accuse d’avoir confisqué la révolution. Afin de rectifier le tir, le chef de l’État s’est mis en tête d’entamer un long processus de monopolisation des pouvoirs et de décisions parachutées. Il a jugé bon de forcer l’adoption d’une nouvelle constitution et de réviser la loi électorale de façon à garantir une véritable démocratie et de former un parlement représentant le peuple tunisien. Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a complètement exclu les partis de la prise de décision et a concrétisé cette approche en optant pour le scrutin uninominal à deux tours.

Le chef de l’État était certain de ses choix et croyait à un fort soutien populaire. Or, les résultats des deux tours des élections législatives reflètent le fossé qui se creuse continuellement entre Kaïs Saïed et la réalité. À la suite du premier tour tenu le 17 décembre 2022, seulement 11,22 % des électeurs se sont manifestés. Au second tour, ce taux n’a pas évolué malgré la baisse du nombre de circonscriptions électorales. Certains candidats avaient réussi à être élus dès le premier tour. D’autres, se sont retrouvés automatiquement élus puisqu’il s’agit de candidats uniques. Seulement 11,3% des électeurs se sont exprimés lors du second tour tenu le 29 janvier 2023.

Encore plus surprenant, certains élus ayant accédé au prochain parlement depuis la tenue du premier tour sont assez connus pour leur affiliation politique durant la fameuse « décennie noire ». Nous pouvons citer à titre d’exemple l’avocat et député de la circonscription France 3, Riadh Jaidan. Ce dernier a été élu en 2014 en tant qu’indépendant puis a intégré le bloc parlementaire de Afek Tounes. Il a été réélu en 2019 et a intégré le bloc l’Allégeance à la Patrie. Il est, donc, l’un des symboles de la décennie noire et du parlement tant haï par le chef de l’État. Il suffit de googler certains noms pour comprendre qu’il s’agit d’anciens élus ou leaders de partis politiques ayant gouverné le pays de 2011 à 2021. Que signifie cela ? Les législatives de 2023 permettront-elles à Nidaa Tounes de refaire surface ? Est-il le grand gagnant de ce processus visant à lui barrer la route ?

L’examen des résultats du second tour ne peut que fournir des réponses favorables à toutes ses interrogations ! Quelques minutes après l’annonce du taux de participation par l’Isie, les réseaux sociaux ont été inondés par les messages de félicitations et de célébrations. Plusieurs personnes ont même affirmé que les anciens de Nidaa Tounes pourraient former un bloc parlementaire d’au moins quarante voire cinquante députés, soit près d’un tiers du prochain parlement. A l’exception de Imed Aouled Jebril et Fatma Mseddi, il ne s’agit dans la plupart des cas que d’anciens dirigeants régionaux et locaux.

Imed Aouled Jebril avait été élu en 2014 comme député de Nidaa Tounes. Il a été réélu en 2019 comme député de Qalb Tounes. Il vient d’être réélu à la circonscription Boumerdes – Essouassi. Fatma Mseddi, quant à elle, était membre du bloc parlementaire de Nidaa Tounes en 2014. Elle a quitté le parti en 2016 puis l’a réintégré en 2019. M. Aouled Jebril et Mme Mseddi pourraient être même considérés comme symbole de la dernière décennie et les voilà à nouveau représentants du peuple.

Comme on l’a évoqué ci-dessus, plusieurs nouveaux députés sont connus à l’échelle locale et régionale pour leur appartenance à Nidaa Tounes. Nous pouvons citer à titre d’exemple :

– Le député de la circonscription Cité Ettahrir – Le BardoDhafer Sghiri. Ce dernier était président de la liste électorale aux élections municipales partielles du Bardo tenues en 2019.

– Le député de la circonscription Sidi Hassine, Adel Dhif. Il fait partie de la section locale de Nidaa Tounes.

– Le député de la circonscription El HraïriaEzzeddine Teyeb. Il a été tête de la liste électorale de Nidaa Tounes à l’occasion des législatives de 2019.

– Le député de la circonscription Nefta – HazouaNizar Seddik. Ce dernier était le coordinateur local de Nidaa Tounes à la ville de Nefta.

– Le député de la circonscription La Soukra, Aymen Ben Saleh. Ce dernier a fait partie jusqu’à 2019 de Nidaa Tounes et est très connu auprès des habitants de la région.

La liste des anciens ou actuels membres de Nidaa Tounes est assez longue. Il ne s’agit là que de quelques exemples montrant l’effet boomerang de la politique de Kaïs Saïed. Au lieu de barrer la route à ceux qu’il considère comme des traîtres, il ne fait que l’ouvrir. Face à ces gagnants, il existe bien évidemment des perdants. Des individus ou des partis qui s’attendaient à une victoire, mais qui se sont finalement pris une véritable raclée. L’exemple type reste celui de Ahmed Chafter et Sarhan Nasri.

Tous deux sont connus pour avoir soutenu inconditionnellement le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, depuis les présidentielles de 2019. Ils ont fait partie de sa fameuse campagne explicative et ont continué à l’appuyer dans toutes ses décisions. Sarhan Nasri s’est présenté en tant que candidat à la circonscription de Sfax ouest. Il n’y obtiendra que 2.863 voix contre les 4.250 voix collectées par son rival Saber Masmoudi. De son côté, Ahmed Chafter avait choisi de se porter candidat à Zarzis, sa ville natale. Il n’y obtiendra que 2.153 voix contre les 2.277 collectées par son rival Messaoud Grira. Avec sa défaite, se sont évaporés les rêves d’une grande partie des soutiens de Kaïs Saïed de le voir présider le prochain parlement.

Notons que Messaoud Grira est l’un des quelques rescapés d’un autre drame politique : les résultats du Mouvement Echaâb. Ce parti avait réussi à former, en 2019, un bloc parlementaire constitué de quinze députés. Le Mouvement Echaâb a soutenu Kaïs Saïed dans l’ensemble de ses décisions et a salué l’annonce des mesures exceptionnelles, la dissolution du parlement et l’adoption d’une nouvelle constitution. Une attitude qui lui a valu d’être qualifié de parti du président. Malgré les réserves exprimées au sujet de la nouvelle loi électorale, le Mouvement Echaâb avait décidé de présenter plus de quarante candidats aux législatives. Moins de la moitié de ces derniers sera finalement élue. Selon les premiers chiffres, seulement quatorze candidats du parti ont réussi l’épreuve. Le soutien parfois inconditionnel au processus entamé par le chef de l’État n’aurait donc servi à rien. Pire, le parti semble, ces derniers temps, avoir perdu les faveurs de Carthage et vivre un désaccord avec le pouvoir en place. On pourrait dire que, d’un point de vue politique, le mouvement Echaâb est l’un des plus grands perdants de ces élections.

Le second tour des législatives anticipées devrait servir de cas d’étude aux apprentis politiciens et aux débutants de ce monde. Certes, le président est parvenu à organiser des élections, mais elles se sont révélées être bénéfiques pour ces ennemis plus que ses alliés. Le faible taux de participation, l’émergence d’un bloc d’anciens de Nidaa Tounes, la faible présence des partis proches de lui et la désorganisation de ses soutiens nous poussent à imaginer que le prochain parlement se transformera rapidement en un véritable cirque.

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