Un feuilleton de mauvais goût?
C’est un véritable pavé dans la mare que vient de jeter un écrivain et journaliste qatari, Ali Hili, concernant la polémique autour du braconnage de l’outarde houbara, un échassier protégé, au Sud de la Tunisie.
Selon lui, les qataris s’adonnent à la chasse dans le désert tunisien, avec l’autorisation des autorités tunisiennes. Pire encore. Il a révélé que le Qatar possède, depuis 2008, une réserve protégée dans le désert tunisien où ils pourraient chasser tranquillement en toute légalité.
“Cette affaire (NDLR: de chasse illégale) est montée de toute pièce” lance-t-il dans une interview accordée à France 24. Pour lui, cette polémique est inventée par les Émiratis et les Saoudiens pour déranger le Qatar. Un règlement de compte, selon ses dires.
L’écrivain n’a cessé de défendre bec et ongles le Qatar contre toutes sortes d’accusations. “D’après mes informations, les chasseurs n’utilisent pas les fusils pour traquer l’outarde, mais plutôt les faucons” précise-t-il en assurant que les Qataris ne chassent ni les gazelles ni les lapins. Ils viennent juste pour les outardes, souligne-t-il.
Toujours selon cet écrivain, ce n’est pas la première fois que les qataris traquent les outardes dans le Sahara tunisienne. D’après lui, ils viennent régulièrement en Tunisie et en Algérie pour chasser: “Chaque année, ils restent près de 10 jours au Sud du pays pour des parties de chasse” précise-t-il en notant que les lois et les règlements sont littéralement respectés par ces derniers.
Ces propos viennent, en effet, remettre en doute les photos et les informations fortement relayées par les médias et les réseaux sociaux, selon lesquelles un groupe de qataris chassaient, à l’aide de faucons et d’armes, des gazelles, des lièvres et des outardes dans la région de Tozeur.
Réagissant à ces propos, le secrétaire général de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH), Béchir Laabidi, a souligné qu’au-delà du flou qui entoure l’affaire, ces pratiques menacent la faune tunisienne. “La traque des outardes habara est illégale” martèle-t-il.
Laabidi a expliqué que l’initiative prise par la LTDH est un cri de détresse pour mettre un terme aux agissements barbares qui vont à l’encontre de la nature et des générations futures. “C’est inacceptable! Notre objectif est de préserver cet environnement aux générations futures, en dépit des tiraillements politiques et de troc financier” clame-t-il haut et fort.
Médusé par les propos de l’écrivain qatari, Laabidi a, par ailleurs, lancé un appel aux autorités tunisiennes afin d’avoir des explications à ce sujet.
Une polémique qui dérange
Contactée par le HuffPost Tunisie pour démêler le vrai du faux, la chargée de communication au sein du ministère de l’Agriculture a présenté quelques éclaircissements à propos de cette affaire, éclatée depuis plusieurs jours.
La responsable a fait savoir que le ministère ayant une jurisprudence constante et s’engageant à préserver les espèces protégées refuse d’octroyer ce genre d’autorisation de chasse. “Pour ce cas précis, nous n’avons pas reçu de demande d’autorisation” enchaîne-t-elle en confirmant les dernières déclarations du ministre Samir Taieb, comme le montre la vidéo ci-dessous. De ce fait, aucune autorisation de chasse n’a donc été accordée en faveur des qataris de la part du ministère de l’Agriculture.
Concernant la présence d’une réserve naturelle au profit des qataris datant de 2008, la responsable a indiqué que son ministère n’a rien à avoir avec les domaines privés. “À ma connaissance, il n’y a pas de réserves privées en Tunisie” confie-t-elle en mettant en doute la notion de “réserve” évoquée par l’écrivain qatari sur France 24.
Elle a précisé, par ailleurs, que les réserves publiques sont toutes sous le contrôle de la Direction générale des forêts.
“C’est absurde!“ dit-elle. “Comment le ministère de l’Agriculture pourrait octroyer des autorisations de chasse qui menacent les espèces protégées alors qu’il se bat pour les conserver” se demande-t-elle.
Quoi qu’il en soit, préserver la faune et la flore fait partie de l’ADN du ministère de l’Agriculture, rappelle-t-elle en évoquant ses efforts consentis pour favoriser la biodiversité dans la région. Elle a évoqué, en ce sens, la stratégie du ministère de l’Agriculture pour la conservation de la gazelle de Cuvier en Afrique du Nord.
La responsable a rappelé, d’autre part, que la cession, la location ou le changement de vocation des biens de l’État reviennent, en fait, au ministère des Domaines de l’État et des Affaires foncières.
Interrogé par le HuffPost Tunisie sur la présence de réserve privée au Sud du pays, le chargé de communication au sein du ministère des Domaines de l’État et des Affaires foncières a renvoyé, à son tour, la balle dans le camp du ministère de l’Agriculture: “Nous n’avons aucun lien avec cette histoire, martèle-t-il, les réserves relèvent du domaine du ministère de l’Agriculture”.
D’après lui, son ministère n’a strictement rien à avoir avec cette polémique. “Si c’était le cas, on aurait publié un communiqué explicatif” poursuit-il.
Le responsable a, par ailleurs, fait savoir qu’en cas de cession d’un terrain appartenant à l’État, son ministère n’est pas responsable de la façon dont il sera utilisé.
Agences de voyages virtuelles…?
Depuis quelques jours, cette affaire a fait couler beaucoup d’encre, suscitant une avalanche de critiques et d’accusations de la part de la société civile et de nombreuses organisations.
D’après des militants de la protection de l’environnement dans le Sahara, un convoi d’une trentaine de 4X4 accompagné d’un hélicoptère a été vu en train de sillonner les régions du désert de Tozeur, à la poursuite d’animaux, notamment des gazelles, lapins, pterocles et outardes houbaras.
“Cette fois, ce ne sont pas des Émirs, ce sont des agences de voyages virtuelles, sans patente ni adresse ni agrément qui organisent les campings pour le braconnage des Outardes, des Dorcas et des Rims pour des ressortissants des pays du Golfe” indique Abdelmajid Dabbar, de l’association Tunisie Ecologie, dans un post publié sur sa page Facebook, en appelant les autorités à agir et à mettre fin à ce scandale, pointant même du doigt l’usage d’un hélicoptère pour la chasse.
Je n'invente pas d'histoires, je suis un électron libre, indépendant à toute appartenance politique et je n'ai aucune…
Posted by Abdelmajid Dabbar on Sunday, 27 January 2019
Or, le ministère de la Défense a assuré dans un communiqué n’avoir donné l’autorisation de survol à un hélicoptère que pour des photos aériennes.
Visiblement, les autorités tunisiennes préfèrent grader le silence à ce sujet. Une manière, peut-être, de montrer patte blanche au Qatar avec lequel de nombreux projets sont en cours. C’est qu’il y aurait de gros intérêts au bout. Il faut préciser qu’aux portes du Sahara tunisien, un des complexes hôteliers les plus luxueux au monde, Anantara Tozeur, ouvrira ses portes au cours de l’année 2019.
Lancé par le groupe qatari Diar Tozeur, le projet a été désigné par le magazine Vogue comme l’une des ouvertures d’hôtels les plus attendues, et parmi les meilleurs nouveaux hôtels au monde selon Forbes.
Il s’agira aussi du premier établissement d’un tel standing dans l’oasis tunisienne.
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