La transition démocratique en Tunisie déraille… c’est ce qu’a estimé Sarah E. Yerkes, spécialiste de la Tunisie et du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie Endowment for International Peace, dans le magazineForeign Affairs, un media de référence connu par sa proximité avec le Département d’État américain.
Dans son article qui date du 2 octobre 2017 consacré à la Tunisie, Sarah E. Yerkes s’est penchée sur les incertitudes qui planent récemment sur la scène politique et les menaces qui pourraient entacher le processus démocratique.
Les signes alarmants se multiplient
“En une semaine, le gouvernement tunisien s’est signalé par trois faits inquiétants lesquels réunis montrent une recul majeure du processus démocratique” souligne-t-elle.
Selon elle, le retour dans la composition gouvernementale de certains figures du régime de Ben Ali, dans le cadre du remaniement ministériel, représente un signe alarmant, tout comme l’adoption trois jours plus tard, l’de loi la controversée relative à la réconciliation économique. “Cette loi accorde une amnistie aux fonctionnaires qui ont facilité la corruption sous le régime de Ben Ali, et ce sans faire l’objet d’une quelconque procédure judiciaire” note Yerkes.
Quant au troisième fait, il s’agit du report pour la troisième fois des élections municipales, prévues pour le 17 décembre prochain. “Les élections étaient initialement prévues pour octobre 2016, mais elles ont été reportées à mars 2017 puis à décembre 2017 en raison de divers facteurs logistiques et politiques. Le gouvernement les a reportés cette fois parce que le président de l’ISIE a démissionné au cours de l’été, ralentissant le processus de préparation des élections” explique-t-elle.
“Bien que chacun de ces épisodes soit troublant en soi, leur succession suggère une tentative orchestrée par le gouvernement de Caïd Essebsi pour contourner l’évolution du progrès démocratique”, ajoute la spécialiste de la Tunisie et du Moyen-Orient à la Fondation Carnegie Endowment for International Peace.
Yerkes a fait savoir qu’elle était témoin de ces faits et consciente de la situation en Tunisie. “J’étais à Tunis alors que tout cela se déroulait” lance-t-elle en indiquant que la tension était palpable. Elle a constaté, après diverses rencontres avec des représentants de la société civile et du gouvernement, que ces mesures auront un impact négatif sur “un peuple déjà profondément sceptique sur son gouvernement”.
Selon “Arab Barometer“, la confiance des Tunisiens envers leur gouvernement s’est nettement dégradée. En effet, le nombre de Tunisiens qui disent “faire confiance au gouvernement dans une moyenne ou large mesure” est passé de 62% en 2011, juste après la révolution, à 35% en 2016.
La spécialiste a, par ailleurs, noté que les Tunisiens ont été écartés de la prise de décision et de la formulation de ces mesures. Elle a expliqué que bien que plusieurs réformes démocratiques engagées depuis 2011 ont émané d’un processus de consultation publique inclusive, ces dernières mesures n’ont pas suivi le pas.
Le fossé entre le peuple et le gouvernement se creuse
D’après Yerkes, un gap se creuse clairement entre le peuple et le gouvernement. Elle démontre qu’en 2015, le projet de loi sur la réconciliation économique a été catégoriquement refusé par la société civile.
“Le mouvement “Manish Msemah”, a mobilisé plusieurs milliers de personnes pour manifester contre ce texte jugé contraire au processus de justice transitionnelle et qui offre une amnistie aux (…) fonctionnaires corrompus”. Un avis qui n’était pas pourtant partagé par “Caïd Essesbi, et les membres de son parti Nidaa Tounes qui ont soutenu le projet de loi, en faisant valoir l’apport de celle-ci au niveau des rentrées d’argent pour l’État, et un moyen permettant au pays de tourner la page du passé”.
L’experte a estimé que les Tunisiens se tournent de plus en plus vers les rues au lieu des urnes pour exprimer leurs griefs. Un choix qui se traduit, selon elle, par la frustration envers les partis politiques.
“Les Tunisiens considèrent les manifestations comme un moyen efficace d’atteindre leurs objectifs” souligne-t-elle.
Suivant ses constatations, les partis politiques ne représentent pas le points de vue du peuple et le fossé entre ces derniers continuera à se développer. Cette situation ne fait que pousser Daech et certains groupes extrémistes à s’épanouir et à attirer les jeunes tunisiens habités par la colère et la frustration.
La communauté internationale a un rôle important à jouer
“Les États-Unis et l’Europe devraient continuer à soutenir la société civile tunisienne, financièrement et moralement” a affirmé Yerkes.
La société civile a, également, un rôle à jouer en étant un garde-fou pour la démocratie, et ce à travers notamment le suivi des séances parlementaires, l’analyse des rapports et des discours des membres gouvernementaux. Sur le plan médiatique, la société civile tunisienne doit continuer à informer l’opinion publique tant nationale que dans l’Occident des actions entreprises par le gouvernement.
“Les amis de la Tunisie outre-Méditerranée et outre-Atlantique ont également besoin d’être attentifs à ce qui se passe dans le pays” ajoute-t-elle avant de conclure: “ainsi, il est dans les intérêts de la région et de l’Occident de veiller à ce que le pays réussisse à respecter les principes démocratiques pour lesquels tant de Tunisiens ont sacrifié leur vie en 2011”.
Depuis plusieurs mois, la spécialiste de la Tunisie tente d’attirer l’attention du gouvernement américain sur l’évolution de la transition démocratique en Tunisie.
En juin dernier, elle avait publié un appel à l’administration américaine afin qu’elle soutienne la Tunisie dans sa lutte contre le terrorisme. Publié sur le site de la Carnegie Endowment for International Peace sous le titre “Nous avons besoin de la Tunisie pour combattre l’État islamique”, elle avait mis en garde sur l’impact de la réduction de l’aide américaine à la Tunisie qui pourrait être “dangereux” pour les États-Unis.
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