La question de l’architecture du gouvernement est importante et devrait faire l’objet d’un débat public qui dépasse les avis souvent intéressés des partis politiques. La tentation de créer des « pôles ministériels » revient sur la table des négociations et est présentée comme une innovation majeure. Plus qu’un toilettage institutionnel, cette reconfiguration du gouvernement doit être pensée en rapport avec l’avènement d’une nouvelle gouvernance.
Un gouvernement « resserré » ce n’est pas simplement moins de ministres, mais une nouvelle façon de gouverner. Pour l’instant nous constatons que cette proposition est réduite à la réalisation de deux objectifs :
1- une meilleure coordination du travail gouvernemental
2- des économies de coûts qui résulteraient de la baisse du nombre de ministres et de ministères.
Disons le tout de suite, le deuxième argument ne résiste pas à une analyse sérieuse. Les salaires d’un ministre et des membres de son cabinet ne pèsent rien dans le budget d’un ministère et le nombre de fonctionnaires ne baissera pas du jour au lendemain parce qu’on aura fusionné des départements. Au contraire, cela risque d’aggraver les problèmes de gestion et d’imputabilité des résultats, créera des zones « floues » quasiment incontrôlées, renforcera la bureaucratie et affaiblira la productivité des administrations. Les questions de renforcement des contrôles et de la redevabilité ainsi que l’obligation d’aplatir les structures hiérarchiques n’en seront alors que plus compliquées.
Reste l’impératif d’une meilleure coordination de l’action gouvernementale. En fait, il nous semble qu’il s’agit non seulement de mieux coordonner l’action de départements piégés par l’ego des uns et la bureaucratie des autres, mais également d’aboutir à une véritable intelligence collective de problèmes transversaux et complexes.
Créer des ministres délégués chargés de coordonner entre deux ou plusieurs ministères ne nous semble pas la bonne réponse. Cela risque même de constituer un dédoublement des responsabilités et d’être source de confusions. La coordination est du ressort des acteurs concernés et non la responsabilité d’une tierce partie.
Nommer un « super ministre » sur deux (ou plusieurs) départements actuels qui n’ont pas de fortes traditions ni de mécanismes de coopération reviendrait à nommer un demi ministre à la tête de chacun des départements en question. Le matin (ou une partie de la semaine), il serait ministre de tel département, l’après-midi (ou le reste de la semaine) ministre de l’autre. Par ailleurs, cette solution risque de sacrifier la spécialisation nécessaire pour affronter la complexité croissante des problèmes posés par la crise actuelle du pays sans réellement aboutir à une meilleure coordination et encore moins à la synergie recherchée. Chaque département « historique » se sentira abandonné au profit de l’autre. Les secrétaires d’Etat peuvent essayer de compenser ce manque. Mais qu’en sera-t-il du pouvoir de ces chefs de second rang à une époque où l’autorité de l’Etat est fortement contestée, où pour le moindre pépin, on ne veut traiter qu’avec le premier responsable, le ministre en personne ?
L’important est que les administrations apprennent à travailler les unes avec les autres. Or il n’est pas rare qu’au sein d’un même ministère des acteurs s’ignorent ou en tout cas rechignent à partager l’information et à travailler autours de projets collectifs.
Osons alors quelques suggestions:
– Instaurer de véritables mécanismes et traditions de coopération intra et inter départements. Ceci ne fera que préparer et faciliter le rôle d’arbitrage du chef du gouvernement.
– Elaborer une lettre de mission (« fiche de fonction ») précise pour chaque ministre
– Elaborer une charte gouvernementale organisant le travail de chaque ministre (notamment la constitution, la composition, l’organisation et le fonctionnement de son cabinet), le travail du gouvernement (en tant qu’équipe solidaire) en interne et ses relations en externe (les parties prenantes, la société civile, les médias, les ambassades, etc.). Le respect de son exécution serait confié au secrétaire général du gouvernement ou au porte-parole de celui-ci.
– Faire émerger les mécanismes de coopération entre ministères à partir des départements eux-mêmes. Les ministres et surtout leurs départements doivent être invités à fixer des objectifs communs, désigner des comités et équipes de travail communes sur des agendas communs négociés de façon décentralisée ; développer leurs bases de données et proposer des mécanismes d’échanges d’informations, etc. La coordination par le « haut » ne servira pas à grand-chose si elle ne part pas de projets de coopération pensés par le « bas ». Les technologies de l’information peuvent y contribuer à condition de ne pas céder à l’illusion technologique de réseaux de communication qui dissoudraient les enjeux politiques et les questions d’intérêt et de pouvoir.
– Charger les conseillers du chef du gouvernement des dossiers « stratégiques » tout en évitant le dédoublement des missions, les empiètements sur les territoires des uns et des autres et en précisant les rapports entre ces ministres conseillers et les ministres de tutelle ;
– Veiller à ce que les conseils interministériels et le conseil des ministres aient le maximum d’efficacité et soient le lieu d’émergence d’une véritable intelligence collective (élaborer des manuels de procédures pour la préparation et l’échange d’informations et de documentation préalable, fixation de l’ordre du jour, préparation des notes de synthèse et des documents de présentation, déroulement concret des conseils, suivi des décisions, etc.)
– Etoffer les services du secrétariat général du gouvernement en vue de leur donner la capacité d’être les gardiens du programme du gouvernement et non seulement du programme d’activités de celui-ci. Ce secrétariat ne se cantonnerait plus aux aspects administratifs et juridiques et pourrait participer à l’évaluation de la mise en œuvre du programme du gouvernement.
– Mettre en place un cadre réglementaire qui régirait la création et le fonctionnement des « conseils supérieurs » et leur permettrait de jouer un véritable rôle de coordination sur des questions transversales.
– Garder à l’esprit que le meilleur mécanisme de coordination entre ministères est que les chefs de ceux-ci et leurs premiers collaborateurs (leurs cabinets) se sentent réellement solidaires et membres d’une même équipe menée par un leader pour réaliser des objectifs clairs. Pour cela un véritable travail de « team building » doit être mis en place. La cohérence de la structure n’est rien sans la cohésion de l’équipe et la fidélité de celle-ci à un intérêt commun.
Nous sommes conscients que l’architecture gouvernementale n’est pas un problème de théorie des organisations. C’est bel est bien un exercice politique et la personnalité des prétendants ainsi que les équilibres politiques pèseront sur la forme et la composition du gouvernement. En effet, nous en sommes encore souvent dans une situation où la force des institutions découle moins de la rationalité qui les porte que des hommes (et des femmes) qui les incarnent. Mais face aux risques, qui nous guettent si nous n’écoutons pas la voie de la raison, nous avons voulu apporter ces quelques suggestions pour alerter l‘opinion et en espérant que l’architecture du gouvernement ne soit pas débattue uniquement dans des cercles « politiques » fermés.
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