Depuis l’avènement de la révolution, et en plus de sa mission institutionnelle permanente principale «la défense de l’intégrité territoriale du pays», l’armée se trouve engagée simultanément sur plusieurs nouveaux fronts. En effet, elle s’est vue déjà depuis plus de trois ans accomplir les missions suivantes :
– Contribuer au maintien de l’ordre avec la protection des sièges des institutions officielles tunisiennes et étrangères ainsi que de nombreux établissements économiques et industriels sur l’ensemble du territoire national, sans oublier les interventions en cas de catastrophes naturelles : incendies, inondations, graves accidents routiers ; industriels…
– Gérer, sécuriser et soutenir logistiquement, lors des évènements sanglants de la révolution libyenne, les flux de réfugiés libyens et étrangers, ainsi que le camp des réfugiés de Choucha au Sud-Est, et ce, de février 2011 jusqu’à la fermeture du camp en mai 2013.
– Assurer le soutien logistique et l’accompagnement sécuritaire des élections de 2011, mission qui sera reconduite dans les mois à venir et dont les préparatifs ont certainement démarré.
– Et en même temps mener une véritable guerre au terrorisme sur l’ensemble du territoire national. Et ce sans compter avec la dernière proposition, semble-t-il encore à l’étude, et qui veut engager les unités militaires dans la traque aux terroristes dans les villes et les zones urbaines (1).
Bref, il s’agit de nombreuses missions, simultanées, toutes des plus sensibles et surtout très exigeantes en ressources humaines.
A ce propos, je tiens à rappeler que l’accomplissement de toute mission nécessite des ressources humaines en volume conséquent et aussi des équipements appropriés. La Palice n’aurait pas dit mieux, me diriez-vous; ceci est vrai, seulement en réalité, si de nos jours on a finalement reconnu la nécessité de fournir à l’armée les équipements et les armes adéquats et nécessaires à cette guerre contre le terrorisme, jusque-là personne, du moins à ma connaissance, ne soulève la question extrêmement importante de la disponibilité des ressources humaines, naturellement bien préparées, mais aussi en nombre suffisant pour mener à bien toutes ces missions. Je suis absolument certain que cela n’échappe pas à l’attention du commandement militaire qui, je n’en doute pas, s’efforce constamment à résoudre cette épineuse problématique ; mais comme je persiste à prétendre que le dossier de la sécurité et de la défense du pays n’est pas et ne doit jamais être l’apanage exclusif des responsables des institutions militaires et sécuritaires, je voudrais susciter l’intérêt de tous, dirigeants du pays, société civile et chacun de mes compatriotes à ce sujet, attirer leur attention sur la gravité de la situation dans le pays et surtout leur proposer quelques mesures qui méritent, à mon avis, considération.
Le citoyen doit d’abord prendre conscience qu’il est, individuellement et collectivement, au centre de la problématique sécuritaire du pays, il en est l’acteur principal et l’objectif final car c’est de sa propre sécurité qu’il est question. Ainsi, il devrait non seulement s’en soucier, mais y contribuer directement et concrètement. Rappelons-nous que la Tunisie a, depuis son indépendance, opté pour une armée de conscription, c’est-à-dire basée sur le service national obligatoire, devoir consacré par la Constitution de 1959 et de nouveau repris par celle de 2014. En effet, l’article 9 de cette dernière stipule bien que «La préservation de l’unité de la patrie et la défense de son intégrité est un devoir sacré pour tous les citoyens. Le service national sont obligatoire selon les dispositions et conditions prévues par la loi».
Par ailleurs, l’article 2 de la loi 1/2004 relative au service national préconise : «Tout citoyen âgé de 20 ans doit se présenter volontairement pour accomplir le service national, il demeure dans l’obligation de l’accomplir jusqu’à l’âge de 35 ans». Et là nous devons être clairs et honnêtes pour reconnaitre que toutes les composantes de la société, dirigeants, société civile et citoyens, ont bien failli à leur devoir envers cette problématique qu’ils n’ont jamais traitée avec le sérieux et la constance nécessaires, d’où les résultats catastrophiques jusque-là enregistrés :
– Une élite et une classe politique dirigeante très peu au fait des questions de Défense et de Sécurité du pays d’où la marginalisation de ce dossier et les fâcheuses conséquences qui en résultent; et il est normal qu’on récolte ce que l’on sème !
– Dans la pratique, on est en face d’un système de conscription injustement sélectif, d’où le recours des jeunes citoyens ainsi que leurs parents, à tous les détours et raccourcis, même les plus irréguliers, pour se dérober à ce devoir constitutionnel sacré(!).
Nul besoin davantage de détails, tout le monde est parfaitement au courant de ce qui se trame dans ce domaine pendant que l’armée continue à souffrir d’un déficit important en personnel, alors que le pays abonde de jeunes plein d’énergie et de volonté, et qui demandent juste d’être traités avec équité et motivés par de vraies bonnes causes pour se dépenser sans réserve aucune.
Compte tenu de la gravité et la sensibilité de la période que traverse le pays, il est, à mon avis, urgent et indispensable de commencer à appliquer les textes déjà en vigueur relatifs au service national. Concrètement, inciter et si nécessaire pousser les jeunes à s’acquitter de leur devoir national, bien sûr tout en veillant à garantir dans la pratique son caractère universel et équitable pour tous les jeunes; de telle sorte que les lauréats des universités, les jeunes originaires des régions favorisées et les fils des familles aisées se retrouvent aux premiers rangs avec ceux issus des régions et milieux moins favorisés, tous ensemble et au même titre dans la même structure militaire le long des frontières et dans les vastes espaces sahariens par exemple, accomplissant ce devoir sacré. Cette opération doit être accompagnée par un effort de sensibilisation et quelques mesures incitatives telles que l’application de la disposition déjà en vigueur mais non appliquée, qui consiste à conditionner toute candidature à un emploi dans la fonction publique à la régularisation de la situation du candidat vis-à-vis du service national.
C’est seulement de cette manière que le jeune citoyen pourra exprimer pleinement et concrètement sa citoyenneté brandie dès qu’il s’agit de faire valoir ses nombreux droits, laquelle citoyenneté ne se limite certainement pas à la simple détention du certificat de nationalité ; au contraire, la citoyenneté c’est d’abord s’acquitter de ses devoirs, dont le service national et le paiement des impôts. Ainsi, l’enrôlement des jeunes permettra à l’armée surtout de satisfaire ses besoins en personnel nécessaires à l’accomplissement des nombreuses missions dont elle est chargée; autrement à qui incomberait alors la défense du pays si ce n’est à ses enfants ? En quoi consiste alors le soutien que tous les Tunisiens ne cessent d’exprimer devant les médias aux militaires et sécuritaires ? Juste des discours ? Et puis c’est quoi la citoyenneté ? Par la même occasion, l’accomplissement de ce service par les diplômés de l’université, futurs dirigeants du pays, leur permettra une fois occupant un poste de responsabilité, de mieux appréhender les dossiers de défense et de sécurité, ce qui est par les temps qui courent loin d’être secondaire. Encore, une fois, le dossier de la défense du pays et sa sécurité n’est pas et ne doit jamais être l’apanage des seuls cadres de l’armée et de l’appareil sécuritaire, au contraire c’est plutôt l’affaire de chacun d’entre nous, dirigeants, membres de la société civile et citoyens ordinaires. Aux cadres militaires et sécuritaires, revient la mise en œuvre des grandes orientations et décisions nationales; alors que le pouvoir décisionnel relatif à ces grands choix nationaux relève des prérogatives du peuple soit directement, soit via ses élus.
En conclusion, je voudrais bien attirer l’attention de tous, dirigeants du pays et également chacun des citoyens, quelle que soit sa position dans la société, sur la gravité des menaces et des défis réels qu’affronte déjà notre pays, ce qui implique la nécessité pour chaque citoyen de s’investir pleinement et concrètement dans la défense de sa patrie. Pour les jeunes, il s’agit de rejoindre l’armée et effectuer son service militaire pour se préparer physiquement, techniquement et moralement à accomplir un devoir constitutionnel sacré qui devrait être pour les jeunes Tunisiens un grand motif de fierté et considéré comme étant la meilleure expression de citoyenneté. Sans un sursaut national dans ce sens, l’armée risque, tôt ou tard, de rencontrer de sérieuses difficultés pour aligner les effectifs nécessaires; surtout que la situation sécuritaire dans notre environnement, le Maghreb/la région sahélo-saharienne et le Moyen-Orient et plus particulièrement chez notre voisin sud-oriental, la Libye, ne fait qu’empirer et risque de perdurer ainsi encore durant les décennies à venir avec les fâcheuses retombées sur la sécurité de notre pays.
Dans tous les cas, tout peuple qui se respecte doit se doter, dès le temps de paix, d’un système de défense permanent, crédible et suffisamment efficace pour dissuader tout projet d’agression à son encontre. L’histoire nous apprend que rien n’est aussi dissuasif que la détermination effective d’un peuple à se défendre, laquelle détermination doit se concrétiser dès le temps de paix en une stratégie, une organisation, des procédures, et bien sûr un minimum de moyens et surtout de la formation et de l’instruction militaires crédibles.
Compte tenu de la situation prévalant en Tunisie et dans la région et des échéances en vue, il est peut-être sage et responsable de considérer l‘adoption des mesures ci-après précisées, et ce, dans le cadre d’une mobilisation allant crescendo:
1. Le rappel, en plusieurs tranches, d’une bonne dizaine de milliers de réservistes c.à.d. des ex-militaires encore aptes au service armé, ce qui permettra dans un premier temps de soutenir et d’accompagner les élections législatives et présidentielle dans les conditions requises et surtout sans porter préjudice à l’effort de guerre contre le terrorisme.
2. Faire enrôler progressivement tous les jeunes en âge d’incorporation et leur faire accomplir le service militaire en vue de satisfaire tous les besoins des forces armées en personnel. Une fois ces besoins satisfaits, les recrues disponibles et après avoir suivi la formation militaire de base, pourront être affectés pour le reste de la période du service militaire, aux organismes publics selon leurs besoins respectifs en qualification et en nombre. De nombreuses études ont été réalisées à ce propos et il suffit de les réactualiser.
3. Compte tenu du rôle important et sensible des médias, organiser des séminaires de sensibilisation ayant pour thème «Besoins d’informer et exigences des opérations sécuritaires» au profit des acteurs du monde médiatique : rédacteurs en chef des journaux et magazines, animateurs de plateaux TV et de radios… Ces séminaires, d’une quinzaine de jours chacun, peuvent être organisés dans une première étape en collaboration avec le ministère de la Défense nationale et les parties concernées, le Syndicat des journalistes pour les rédacteurs en chef et journalistes déjà en exercice; l’Institut de presse et des sciences de l’information pour les étudiants, futurs journalistes par exemple… D’ailleurs, un effort de sensibilisation similaire, mais porté sur les problématiques de défense et sécurité en général, serait autant bénéfique aux grands responsables et élus du peuple et dont pourrait s’en charger l’Institut de défense nationale. Au besoin, certains officiers à la retraite seraient disposés, bien volontiers, à y contribuer.
De mon côté, je reste plutôt optimiste quant à une telle approche et tenté de croire que, moyennant une campagne de sensibilisation, un discours sincère et franc, et une application juste et équitable des textes, les jeunes Tunisiens seront à la hauteur des enjeux et ne manqueront pas à l’appel.C’est seulement ainsi, que le destin du pays, l’issue de la guerre contre le terrorisme et la sécurisation du pays seront bien entre les mains de ses enfants. Que chacun assume donc sa responsabilité et accomplisse ses devoirs envers sa patrie qui lui a tant donné. Personne d’autre ne viendra défendre ce pays à notre place. Voudrions-nous vaincre ceux qui n’hésitent pas un instant à périr avec leurs victimes dans des explosions suicidaires, juste par notre indifférence et nos longues palabres ? Rappelons-nous le sens de l’hymne national qu’on ne cesse de tonner à tout bout de champ « namoutou, namoutou wa yahia elwatan »! ou s’agit-il seulement d’un truc magique qu’on brandit haut et fort juste au moment des surenchères politico-médiatiques?
Que Dieu garde la Tunisie.