lundi , 20 mars 2023
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Un nouvel épisode des relations compliquées entre pouvoir et médias en Tunisie. C'était l’un des cartons d’audience du ramadan, haute saison pour les nouvelles productions télé en Tunisie. «La logique politique», déclinaison des «Guignols» diffusée par la chaîne Attounsiya, s’est arrêtée subitement la semaine dernière. Les deux derniers épisodes prévus n’ont pas été diffusés. Une disparition passée inaperçue pendant près d’une semaine, jusqu'à ce que le syndicat des journalistes s’en fasse l'écho : «La diffusion des Guignols a été stoppée sous la contrainte», a affirmé sur la radio Shems FM son secrétaire général, Mongi Khadhraoui, évoquant des «pressions indirectes» du gouvernement, dominé par les islamistes d’Ennahda. Vendredi soir, un mandat de dépôt a été émis pour faire arrêter le directeur de cette chaîne satellitaire, Sami Fehri, pour son implication présumée dans des affaires de malversations, du temps de Ben Ali. Rien à voir avec les Guignols, mais dans ce contexte, la résurgence de cette affaire est pour le moins surprenante. D’autant que « la procédure a été bafouée », accuse l’avocat de Sami Fehri Abdelaziz Essid, qui s'étonne aussi de son extrême rapidité. D’abord discret, en position de faiblesse au vu de ses démêlés avec la justice, Sami Fehri est passé à l’offensive, après l'émission du mandat : «Lotfi Zitoun [conseiller très médiatisé du Premier ministre Hamadi Jebali, ndlr] m’a contacté et m’a dit qu’il y avait un grand mécontentement et que ce que la chaîne diffusait était inacceptable », a-t-il accusé ce samedi sur Express FM. « On m’a demandé d’arrêter l'émission, je l’ai arrêtée. Je ne suis pas un militant », explique-t-il encore à Libération.fr. Contacté vendredi par Libération.fr, Lotfi Zitoun a « démenti catégoriquement » toute intervention. « C’est une information mensongère, s’est-il emporté. Aucune émission ne me dérange et il n’y a pas de pressions sur les médias en Tunisie ». Lancée en mars 2012, à un rythme hebdomadaire, devenue quotidienne le temps du ramadan, «La logique politique» raillait la nouvelle classe dirigeante, gouvernement en tête, mais aussi opposition : le président Moncef Marzouki, celui de l’Assemblée constituante, dont les partis de gauche ont fait alliance avec Ennahda, y sont dépeints comme des pantins aux mains des islamistes. L’opposition est raillée pour ses critiques à tort et à travers, Ennahda moquée pour son rejet de toute critique, pour sa volonté supposée d’accaparer le pouvoir. Parodies Pendant le ramadan, ce sont surtout les parodies de clips de rap qui ont été remarquées. Celle-ci met en scène le leader d’Ennahda Rached Ghannouchi, le Premier ministre Hamadi Jebali et un jeune salafiste: Un ton et des clips que des membres d’Ennahda ne goûtent pas beaucoup. « Ils ont protesté contre l'émission car ils trouvaient la critique déséquilibrée », raconte un membre de la production. Sans nommer les Guignols, le ministre de la Santé a publiquement condamné « certaines émissions [qui] dépassent toutes les limites en se moquant des personnalités publiques sans respect aucun ». « Il faut respecter les symboles de l’Etat », a estimé Abdelatif Mekki. Reste que les Guignols ne sont pas le seul conflit médiatique : en guerre permanente contre des médias souvent très véhéments envers eux, les islamistes ont nommé unilatéralement des proches à la tête de la plupart des médias publics. Producteur d'émissions à succès, Sami Fehri est aussi un personnage controversé : il s'était associé à Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali, pour monter une boîte de production, Cactus, qui fournissait des programmes à la télévision nationale. Après la révolution, l’Etat a confisqué les 51% détenus par Belhassen Trabelsi et nommé un administrateur judiciaire. Sami Fehri a, lui, lancé la chaîne Attounsiya, dont Cactus produit les programmes. Mais de nombreuses procédures ont été engagées contre lui, concernant son travail avec la télé nationale : il est notamment accusé d’avoir profité illégalement de ses équipements, mais aussi de complicité de détournement de fonds, etc. Selon le contentieux de l’Etat, chargé des poursuites dans les affaires de biens mal acquis, le rapport d’expertise bouclé fin juillet après un an et demi d’instruction «est accablant pour Sami Fehri» et le contentieux a donc requis son placement en détention, de même que celui de ses 17 co-accusés. Ce qu’a refusé le juge d’instruction, mais ce qu’a accepté la chambre d’accusation de la cour d’appel, vendredi soir. Sami Fehri, qui devait se présenter à la police samedi, n'était pas incarcéré dimanche midi.

En Tunisie, les Guignols passent à la trappe

Un nouvel épisode des relations compliquées entre pouvoir et médias en Tunisie.

C’était l’un des cartons d’audience du ramadan, haute saison pour les nouvelles productions télé en Tunisie. «La logique politique», déclinaison des «Guignols» diffusée par la chaîne Attounsiya, s’est arrêtée subitement la semaine dernière. Les deux derniers épisodes prévus n’ont pas été diffusés. Une disparition passée inaperçue pendant près d’une semaine, jusqu’à ce que le syndicat des journalistes s’en fasse l’écho : «La diffusion des Guignols a été stoppée sous la contrainte», a affirmé sur la radio Shems FM son secrétaire général, Mongi Khadhraoui, évoquant des «pressions indirectes» du gouvernement, dominé par les islamistes d’Ennahda.

Vendredi soir, un mandat de dépôt a été émis pour faire arrêter le directeur de cette chaîne satellitaire, Sami Fehri, pour son implication présumée dans des affaires de malversations, du temps de Ben Ali. Rien à voir avec les Guignols, mais dans ce contexte, la résurgence de cette affaire est pour le moins surprenante. D’autant que « la procédure a été bafouée », accuse l’avocat de Sami Fehri Abdelaziz Essid, qui s’étonne aussi de son extrême rapidité.

D’abord discret, en position de faiblesse au vu de ses démêlés avec la justice, Sami Fehri est passé à l’offensive, après l’émission du mandat : «Lotfi Zitoun [conseiller très médiatisé du Premier ministre Hamadi Jebali, ndlr] m’a contacté et m’a dit qu’il y avait un grand mécontentement et que ce que la chaîne diffusait était inacceptable », a-t-il accusé ce samedi sur Express FM. « On m’a demandé d’arrêter l’émission, je l’ai arrêtée. Je ne suis pas un militant », explique-t-il encore à Libération.fr.

Contacté vendredi par Libération.fr, Lotfi Zitoun a « démenti catégoriquement » toute intervention. « C’est une information mensongère, s’est-il emporté. Aucune émission ne me dérange et il n’y a pas de pressions sur les médias en Tunisie ».

Lancée en mars 2012, à un rythme hebdomadaire, devenue quotidienne le temps du ramadan, «La logique politique» raillait la nouvelle classe dirigeante, gouvernement en tête, mais aussi opposition : le président Moncef Marzouki, celui de l’Assemblée constituante, dont les partis de gauche ont fait alliance avec Ennahda, y sont dépeints comme des pantins aux mains des islamistes. L’opposition est raillée pour ses critiques à tort et à travers, Ennahda moquée pour son rejet de toute critique, pour sa volonté supposée d’accaparer le pouvoir.

Parodies

Pendant le ramadan, ce sont surtout les parodies de clips de rap qui ont été remarquées. Celle-ci met en scène le leader d’Ennahda Rached Ghannouchi, le Premier ministre Hamadi Jebali et un jeune salafiste:

Un ton et des clips que des membres d’Ennahda ne goûtent pas beaucoup. « Ils ont protesté contre l’émission car ils trouvaient la critique déséquilibrée », raconte un membre de la production. Sans nommer les Guignols, le ministre de la Santé a publiquement condamné « certaines émissions [qui] dépassent toutes les limites en se moquant des personnalités publiques sans respect aucun ». « Il faut respecter les symboles de l’Etat », a estimé Abdelatif Mekki. Reste que les Guignols ne sont pas le seul conflit médiatique : en guerre permanente contre des médias souvent très véhéments envers eux, les islamistes ont nommé unilatéralement des proches à la tête de la plupart des médias publics.

Producteur d’émissions à succès, Sami Fehri est aussi un personnage controversé : il s’était associé à Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali, pour monter une boîte de production, Cactus, qui fournissait des programmes à la télévision nationale. Après la révolution, l’Etat a confisqué les 51% détenus par Belhassen Trabelsi et nommé un administrateur judiciaire. Sami Fehri a, lui, lancé la chaîne Attounsiya, dont Cactus produit les programmes. Mais de nombreuses procédures ont été engagées contre lui, concernant son travail avec la télé nationale : il est notamment accusé d’avoir profité illégalement de ses équipements, mais aussi de complicité de détournement de fonds, etc.

Selon le contentieux de l’Etat, chargé des poursuites dans les affaires de biens mal acquis, le rapport d’expertise bouclé fin juillet après un an et demi d’instruction «est accablant pour Sami Fehri» et le contentieux a donc requis son placement en détention, de même que celui de ses 17 co-accusés. Ce qu’a refusé le juge d’instruction, mais ce qu’a accepté la chambre d’accusation de la cour d’appel, vendredi soir. Sami Fehri, qui devait se présenter à la police samedi, n’était pas incarcéré dimanche midi.

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